Il y a 10 jours, j’ai profité d’une visite guidée sur le thème de la « Nouvelle Architecture Khmère ». Pas si nouvelle que ça puisqu’il s’agit de l’architecture khmère des années 50-60, période du « Sangkum », entre l’indépendance du pays acquise en 1953 et le début des nombreux conflits en 1970. A cette époque, Norodom Sihanouk est à la tête du pays après avoir abdiqué du trône en faveur de son père. Niveau politique, ce n’est pas tout rose, ce n’est pas vraiment une démocratie, et l’opposition est durement réprimée. En revanche, niveau économique, le Cambodge est le pays d’Asie du Sud-Est le plus avancé (ce qui rend la réalité actuelle encore plus difficile à accepter). Et niveau culture, ça foisonne au niveau musical (https://www.youtube.com/watch?v=L4cvPjGtR48, https://www.youtube.com/watch?v=gXwk3u47DFY), danse, cinéma (https://www.youtube.com/watch?v=Z92TjZ1qi1U). Le Cambodge est appelé « la perle de l’Asie » et ce n’est pas pour rien. Au niveau architectural, un courant bien spécifique va voir le jour, inspiré de l’Architecture Moderne et de l’architecture traditionnelle khmère. Sihanouk n’y est pas étranger puisqu’il a largement favorisé le retour au pays de certains architectes formés en France, a contribué à la commande publique, et a lui-même été designer d’intérieur pour plusieurs bâtiments. Bien que beaucoup d’architectes aient travaillé à cette période, Vann Molyvann (http://www.vannmolyvannproject.org/) est un peu le pape de la NKA. En l’espace de 15 ans, il a travaillé sur une centaine de projets, dont certains sont les plus emblématiques du courant. Pour la visite guidée, nous avons découvert 3 projets de Vann Molyvann : le projet des 100 maisons pour le personnel de la National Bank, l’institut des langues étrangères de l’Université Royale de Phnom Penh, et son chef d’œuvre, le complexe sportif (stade olympique).

Les 100 maisons :

Au départ construites pour le personnel de la National Bank, ces habitations ont finalement été utilisées comme logement militaire après leur inauguration à la fin des années 1960, période de conflit oblige. Les pilotis s’inspirent du style traditionnel, en revanche beaucoup de nouveautés : grandes fenêtres et ouverture au niveau du toit pour mieux évacuer la chaleur, cuisine et salle d’eau font partie de la maison (en général, elles sont séparées de la maison), place pour une génération (en général, les khmers vivent à plusieurs générations dans une maison). Aujourd’hui, certaines maisons ont été démolies, d’autres ont été laissées dans leur jus, et enfin certaines autres sont habitées. De sorte que ces petites maisons à l’origine toutes identiques sont aujourd’hui toutes particulières, certains ayant ajouté des pièces, des balcons, des colonnades, des couleurs, …

L’institut des langues étrangères de la RUPP :

Un groupe de bâtiments beaux et bien conçus. Vann Molyvann a beaucoup étudié comment limiter la chaleur dans les classes (les murs de brique et les sorties nid d’abeille du toit par exemple), et aussi comment favoriser la motivation des étudiants (bâtiment principal en carré avec un large patio intérieur et des escaliers avec paliers pour faciliter les croisements et les échanges, au contraire des bâtiments scolaires habituels, tout en longueur avec couloirs extérieurs). Encore une fois, il a trouvé son inspiration aussi du côté de la culture khmère (les plans d’eau avec la passerelle d’accès hors d’eau, identique à ce qu’on voit sur les temples angkoriens, la bibliothèque qui s’inspire d’un chapeau traditionnel en feuilles de palme, etc.). ça donne vraiment envie d’aller étudier là-bas !

Stade olympique :

Le chef d’œuvre de Vann Molyvann, le complexe sportif. Terminé en 1964, il a été construit au départ pour accueillir les Jeux de l’Asie du Sud-Est de 1963, finalement annulés en raison du contexte politique. Il a quand même été utilisé pour les Jeux des Nouvelles Forces Emergentes (GANEFO in English) en 1965, et pour le célèbre discours de Charles de Gaulle du 1er septembre 1966 lors de sa visite au Cambodge (au cours de sa tournée des anciennes colonnies). Par contre, personne ne peut vraiment expliquer pourquoi le terme « olympique » lui a été attribué, puisqu’il n’a jamais servi pour les Jeux Olympiques et n’a pas été conçu pour ça. Aujourd’hui, c’est un endroit très populaire, les gens y viennent faire leur sport quotidien : fitness, badminton, volley-ball, piscine et beaucoup de gens y viennent aussi pour juste regarder les autres faire du sport, c’est assez marrant (lors de notre visite par exemple, une quinzaine de jeunes étaient en train de nager dans la piscine olympique, tandis que plus d’une soixantaine de personnes les regardaient depuis les gradins – This is Cambodia ! ). Sur les photos, vous verrez que la pelouse du stade est en travaux ; la FIFA paye la mise en place d’une pelouse artificielle.

Pour ce qui est de l’architecture, l’ouvrage est classé dans la catégorie des structures « brutalistes », c’est-à-dire que c’est du béton brut, marqué par les planches de bois ayant servi au moulage. Et pourtant c’est pas moche . Notamment parce que l’architecte a mêlé les matériaux et les textures : aluminium, fibre de verre, etc. Un système de collecte des eaux pluviales permet par ailleurs de remplir des bassins d’eau au sous-sol, ce qui embellit le bâtiment en saison des pluies, lui donnant un air de temple (les temples angkoriens sont entourés d’eau). Le complexe sportif a aussi été l’occasion de montrer que le Cambodge avait les compétences pour bâtir ce genre de bâtiments, car même si l’équipe de conception était franco-khmère, ce sont des entreprises khmères qui l’ont construit. En particulier, le toit du gymnase est en fait constitué de 4 carrés qui ne se touchent pas, soutenus par 4 piliers plantés aux coins des tribunes. Bref, j’ai trop kiffé . Vous remarquerez que sous certains points de vue, le gymnase ressemble un peu à la maison de Goldorak quand même…